Il
importe d'attirer votre bienveillante attention sur certains abus
graves et sans cesse croissants de la navigation à vapeur
et, en première ligne, sur l'emploi
d'un sifflet d'une puissance exceptionnelle produisant un bruit
particulièrement discordant et intolérable qui
trouble, profondément et à tout instant, la tranquillité
des nombreuses et intéressantes populations riveraines de
la Seine (de plus ce bruit, en quelque sorte terrifiant, épouvante
les animaux, au risque de causer les plus fâcheux accidents).
De nuit, c'est pire encore, car l'emploi de ce sifflet est
plus réitéré et plus prolongé que dans
le jour, du moins aux approches des écluses. C'est un bruit
strident et répété à maintes reprises
qui se fait parfois entendre un quart d'heure sans discontinuer.
Le but est de réveiller l'éclusier et le sifflet fonctionne
jusqu'à ce que le résultat soit obtenu. Il est clair
que si l'on parvient, à la longue, à tirer l'éclusier
de son sommeil, on réveille inévitablement, en même
temps, tous les habitants de la localité qui ont incontestablement
droit au repos et à un sommeil paisible. On assure
même que, soit de jour soit de nuit, les mariniers causeraient
fréquemment tout ce vacarme avec un certain esprit de malice
: ...souvent le sifflet fonctionne sans nécessité
apparente....(L'auteur suggère l'emploi du télégraphe
pour prévenir les éclusiers ou la suppression du trafic
de nuit). Pour réveiller un homme à qui un labeur
pareil rend d'ailleurs le sommeil lourd, tenir en même temps
en éveil chaque nuit des populations entières, c'est
de la barbarie....
Vraisemblablement on objecterait que l'emploi du sifflet par
les locomotives présente semblable inconvénient. En
effet, c'est un bruit moins strident, moins discordant et, par suite,
moins intolérable. Dans la nuit d'ailleurs, le sifflet des
locomotive joue plus rarement et durant un plus court espace de
temps que celui des bateaux, par la raison qu'il ne sert qu'à
avertir du passage instantané d'un train, et non à
réveiller les gens. Enfin le sifflet des locomotives est
un surcroît de précaution destiné à augmenter
la sécurité de gens qui emploient un mode de locomotion
vertigineux...
...les populations riveraines de la Seine
ont déjà subi un préjudice sans compensation
de l'établissement des écluses qui
ont transformé le fleuve ( jusqu'alors pur et limpide en
amont de Paris) en une sorte de canal aux eaux stagnantes et
troublées... Il reste à signaler principalement
l'épaisse et nauséabonde fumée produite
par les bateaux à vapeur qui emploient un combustible de
qualité inférieure. (Il faut signaler aussi)
l'étendue de plus en plus démesurée des
convois de bateaux et leur stationnement fréquent
en dehors des lieux réglementaires, ce qui cause une
grave et inutile entrave pour la petite batellerie et la navigation
de plaisance...qui se trouvent de plus en plus sacrifiées.
Tels sont les principaux abus nés de ces industries particulièrement
incommodes, encombrantes et bruyantes qui finissent par accaparer
et confisquer littéralement, pour leur seul profit personnel,
un fleuve dont le libre usage appartient cependant à tous...
A plusieurs reprises déjà,
la Préfecture de police s'est occupée d'adopter des
mesures contre l'emploi des sifflets dans la traversée de
Paris, bien que cependant ces appels soient infiniment moins incommodes
et retentissants au milieu du tumulte de la grande Cité que
dans le calme et le silence des campagnes.
A.LECHOPIÉ, avocat à la Cours de Paris,
publiciste, rue de Clichy, 12 Propriétaire à Ablon
sur Seine (S & O), quai de la Baronnie, 17.
Bibliothèque municipale de Melun, Fonds local,
RESHL/HL4 102 pièce 4. |
Le
premier voyage officiel du "Ville de Sens", un bateau
à vapeur pour le transport des passagers et marchandises,
actionné par des roues à aubes, eut lieu le 8 mars
1827, de Paris à Sens. Vers 1850, le transport de passagers
disparaît devant la concurrence du chemin de fer. Le transport
marchandises se développe mais le halage par chevaux a laissé
place au remorquage ou au touage. ( GAUTHIER (Marie-Louise),
Voyages en vapeur à l'époque romantique sur la Seine
et ses affluents, Les cahiers du musée de la Batellerie,
Conflans Ste Honorine, 1996.) Les écluses des Vives
Eaux, de la Citanguette et du Coudray commencées en 1859
furent terminées en 1864. (MERGER (Michèle), La
canalisation de la Seine - 1838 - 1939, in La Seine et son
histoire, Mémoires Paris et Ile de France, tome 45, 1994. |