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Le chant des sirènes ou la rançon du progrès (vers 1895)
En ces jours (octobre 2001) où est lancé, dans toute notre région, un appel à la mobilisation générale contre la pollution et les nuisances sonores du troisième couloir aérien d'Orly, on peut rappeler que nos ancêtres de la Belle Époque connaissaient déjà (à une moindre échelle peut-être) les mêmes problèmes ! 


 MÉMOIRE
En faveur des populations riveraines de la Seine contre les
ABUS DE LA NAVIGATION A VAPEUR
A Monsieur le Ministre des Travaux Publics

Il importe d'attirer votre bienveillante attention sur certains abus graves et sans cesse croissants de la navigation à vapeur et, en première ligne, sur l'emploi d'un sifflet d'une puissance exceptionnelle produisant un bruit particulièrement discordant et intolérable qui trouble, profondément et à tout instant, la tranquillité des nombreuses et intéressantes populations riveraines de la Seine (de plus ce bruit, en quelque sorte terrifiant, épouvante les animaux, au risque de causer les plus fâcheux accidents).
 De nuit, c'est pire encore, car l'emploi de ce sifflet est plus réitéré et plus prolongé que dans le jour, du moins aux approches des écluses. C'est un bruit strident et répété à maintes reprises qui se fait parfois entendre un quart d'heure sans discontinuer. Le but est de réveiller l'éclusier et le sifflet fonctionne jusqu'à ce que le résultat soit obtenu. Il est clair que si l'on parvient, à la longue, à tirer l'éclusier de son sommeil, on réveille inévitablement, en même temps, tous les habitants de la localité qui ont incontestablement droit au repos et à un sommeil paisible.

On assure même que, soit de jour soit de nuit, les mariniers causeraient fréquemment tout ce vacarme avec un certain esprit de malice : ...souvent le sifflet fonctionne sans nécessité apparente....(L'auteur suggère l'emploi du télégraphe pour prévenir les éclusiers ou la suppression du trafic de nuit). Pour réveiller un homme à qui un labeur pareil rend d'ailleurs le sommeil lourd, tenir en même temps en éveil chaque nuit des populations entières, c'est de la barbarie....

Vraisemblablement on objecterait que l'emploi du sifflet par les locomotives présente semblable inconvénient. En effet, c'est un bruit moins strident, moins discordant et, par suite, moins intolérable. Dans la nuit d'ailleurs, le sifflet des locomotive joue plus rarement et durant un plus court espace de temps que celui des bateaux, par la raison qu'il ne sert qu'à avertir du passage instantané d'un train, et non à réveiller les gens. Enfin le sifflet des locomotives est un surcroît de précaution destiné à augmenter la sécurité de gens qui emploient un mode de locomotion vertigineux...

...les populations riveraines de la Seine ont déjà subi un préjudice sans compensation de l'établissement des écluses qui ont transformé le fleuve ( jusqu'alors pur et limpide en amont de Paris) en une sorte de canal aux eaux stagnantes et troublées... Il reste à signaler principalement l'épaisse et nauséabonde fumée produite par les bateaux à vapeur qui emploient un combustible de qualité inférieure. (Il faut signaler aussi) l'étendue de plus en plus démesurée des convois de bateaux et leur stationnement fréquent en dehors des lieux réglementaires, ce qui cause une grave et inutile entrave pour la petite batellerie et la navigation de plaisance...qui se trouvent de plus en plus sacrifiées. Tels sont les principaux abus nés de ces industries particulièrement incommodes, encombrantes et bruyantes qui finissent par accaparer et confisquer littéralement, pour leur seul profit personnel, un fleuve dont le libre usage appartient cependant à tous...

A plusieurs reprises déjà, la Préfecture de police s'est occupée d'adopter des mesures contre l'emploi des sifflets dans la traversée de Paris, bien que cependant ces appels soient infiniment moins incommodes et retentissants au milieu du tumulte de la grande Cité que dans le calme et le silence des campagnes.

A.LECHOPIÉ, avocat à la Cours de Paris, publiciste, rue de Clichy, 12
Propriétaire à Ablon sur Seine (S & O), quai de la Baronnie, 17.

Bibliothèque municipale de Melun, Fonds local, RESHL/HL4 102 pièce 4.

Le premier voyage officiel du "Ville de Sens", un bateau à vapeur pour le transport des passagers et marchandises, actionné par des roues à aubes, eut lieu le 8 mars 1827, de Paris à Sens. Vers 1850, le transport de passagers disparaît devant la concurrence du chemin de fer. Le transport marchandises se développe mais le halage par chevaux a laissé place au remorquage ou au touage.  ( GAUTHIER (Marie-Louise), Voyages en vapeur à l'époque romantique sur la Seine et ses affluents, Les cahiers du musée de la Batellerie, Conflans Ste Honorine, 1996.)

Les écluses des Vives Eaux, de la Citanguette et du Coudray commencées en 1859 furent terminées en 1864. (MERGER (Michèle), La canalisation de la Seine - 1838 - 1939, in La Seine et son histoire, Mémoires Paris et Ile de France, tome 45, 1994.

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