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Le terrible hiver de 1709

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Par une coïncidence tragique, les années si difficiles du début du XVIIIe siècle, au temps de la guerre de Succession d'Espagne, connurent une série de grands hivers. Celui de 1709 les dépassa tous en cruauté et a laissé un sinistre renom, mais il fut encadré par ceux de 1708 et 1710, également redoutables. Pendant ces trois années consécutives, les vendanges furent à peu près nulles aux environs de Paris. Ce que purent être les souffrances des villages de vignerons de 1'1le-de-France en cette année 1709 est dépeint pour Boissise-la-Bertrand, près de Melun (Seine-et-Marne), par le curé Jultine et pour Vaux le Pénil par un vigneron.

" Je n'ay pu refuser aux instances que les habitans de la parroisse de Boissize la Bertrand, près Melun, que je dessert en qualité de leur curé depuis quinze années, de prendre la liberté d'adresser à Votre Grandeur le placet cy joint et de l'assurer que la misère dans laquelle ils sont réduits par le deffault de récolte de leurs vignes qu'ils tiennent à rente et qui font tout le revenu de cette paroisse, et encore par le deffaut de trouver à travailler.

Cette misère est au point que la plus grande partie n'ont pas de pain, sans pouvoir être soulagez de l'aumosne qui se devroit faire dans lad. Parroisse comme dans les autres en exécution des déclarations du Roy, les bourgeois et propriétaires du territoire de la d. parroisse n'ayant rien recueilly l'année dernière, ny espérance de recueillir l'année présente par les différentes gelées qui sont survenues sur les vignes dont la plus grande partie est délaissée et abandonnée, fait que l'on n'a jusques à présent pu recouvrer que cent dix huit sols sur le roolle qui a été fait pour la subsistance des pauvres de cette paroisse; je voudrois bien, Monseigneur, estre en état de les soulager, mais Votre Grandeur conçoit bien que je souffre comme eux de ce deffault de récolte.

Outre ces accidents, ils ont encore le malheur d'être tourmentez par les collecteurs qui sont forcez de les persécuter, étans écrouez dès le 17 may dernier à la requeste du receveur des tailles de Melun, pour raison de quoy le geollier desd. prisons leur fait payer à chacun des . collecteurs deux sols par jour, quoyque touttes les contraintes qu'ils peuvent faire leurs deviennent inutiles, les cottisez n'ayans aucune chose qu'ils puissent saisir, ny vendre. La charité et mon devoir m'obligent d'informer Votre Grandeur de tous ces faits que j'atteste à Votre Grandeur pour être très véritables et dont elle pourra être informée par celuy de ses subdélégués auquel Elle voudra bien s'en informer. Ainsy ces pauvres habitans espèrent de Votre Grandeur qu'elle aura la bonté dy pourvoir et d'empêcher que le receveur des tailles use de contraintes jusqu'à ce que ces habitans ayent recouvert quelque chose et trouvé à travailler pour vivre et de quoy payer leurs taxes..."

Archives nationales G 7 426 à 442; Fonds de la Généralité de Paris, cité dans : DAUVERGNE (Robert), « La vigne dans les environs de Paris au temps de Louis XIV », Bulletin de la Société d'histoire de Paris et de l'Ile de France, 1966 (1964), p 84-85.


Vaux-le-Pénil, canton de Melun-nord, Seine-et-Marne

" En 1709, la fâcheuse année de grande famine. Les gelées commencèrent le lendemain des Rois, d'où l'hiver, qui dura trois mois, gela tout en général, les blés, les vignes et les arbres fruitiers furent gelés entièrement. Sans l'orge, nous étions tous perdus, mais Dieu y mit la main. Le setier valoit 40 livres au mois de may pour semer. Il y a eu une si grande famine l'année mesme que les pauvres gens mangeoient l'herbe, comme les bestiaux, et l'avoine et la vesce. Le bled a valu dans le marché de Melun 72 livres le setier, et à Paris 100 livres le setier. C'étoit une chose pitoyable. Dieu nous a préservés de tel malheur. Nous devons un grand respect à l'orge, car sans elle nous serions morts de faim. J'en ai ensemencé environ un arpent, j'en ai recueilli 16 setiers. Les bons arpents faisoient jusques à 20 setiers. On ne recueillist ni blé ni vin. Le vin valoit 100 livres le muid.
" Jamais homme vivant de ce tems là n'avoit vu une chose pareille, dont il a bien cousté la vie à bien du monde. Que Dieu la conduise si loin que jamais personne ne la voye. J'ai recueilli quatre boisseaux de blé en six quartiers que j'avois ensemencés. Je ne fist point de vin; j'en recueillist une demie queue, que j'ai vendue 75 livres.
" Mon fils est venu au monde le 15 mars de la mesme année, il s'en souviendra. "


(Mémorial de J.-B. VINCELET, vigneron de Vaux-le-Pénil, publ. par R. Morel, Bulletin de la Société d'archéologie, sciences, lettres et arts de Seine-et-Marne, t. XII, 1907-1908, pp. 252-254.) cité par LACHIVER (Marcel), Les années de misère, la famine au temps du Grand Roi, Fayard, Paris, 1991

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