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Dans les années 1860, un agronome, le docteur Jules Guyot est chargé par Napoléon III d'élaborer un rapport sur l'état et l'avenir de la vigne en France. Il envoie des questionnaires dans toutes les municipalités ( ADSM série M 7525, hélas sans les réponses !) et accomplit d'innombrables tournées d'inspection. En 1868 il publie, en trois gros volumes, le résultat de ses recherches qui dresse, arrondissement par arrondissement, un inventaire complet de la France vinicole au moment de sa plus grande expansion. Les textes ci-dessous - introduction sur la Seine et Marne et arrondissement de Melun - sont extraits de l'édition mise à jour de 1876. C'est celle-ci qui a été ré-éditée, en plusieurs volumes, par Jeanne Laffite, à Marseille, en 1982, dans la bibliothèque de l'œnophile. L'édition de 1868 figure  aux Archives de Seine et Marne sous la cote 8° 1084.
 

ETUDE DES
 VIGNOBLES DE FRANCE
POUR SERVIR A L'ENSEIGNEMENT MUTUEL DE LA VITICULTURE ET DE LA VINIFICATION FRANCAISE
 PAR LE DOCTEUR JULES GUYOT

REGION DU NORD-OUEST REGION LIMITE DE LA VIGNE
DEPARTEMENT DE SEINE ET MARNE

PARIS  -  IMPRIMERIE IMPERIALE  -  1868

Le département de Seine-et-Marne reste encore un des plus importants de la région vignoble du Nord-Ouest par l'étendue de ses vignes, qui n'était pas moindre de 21 163 hectares en 1852 et qui est à peine. de 10 000 aujourd'hui. Ses rendements moyens s'élèvent au-dessus de 35 hectolitres à l'hectare, valant plus de 16 francs l'hectolitre, et réalisant ainsi un produit total brut au-dessus de 5 millions de francs : c'est la onzième partie du produit agricole de tout le département lequel est d'environ 54 millions. Pourtant les vignes n'occupent que la cinquante-septième partie de son sol, dont la superficie totale comprend 573 635 hectares. Les 5 millions provenant de ses vignobles entretiennent. 5000familles ou 20,000 habitants ; dix-huitième partie de la population, dont le chiffre s'élève à 354 400 individus.

Le sol de Seine-et-Marne est plus favorable à la culture des bons cépages qu'à celle des mauvais ; car les pineaux, les morillons, les meuniers, sont plus précoces que les gouais et les gamays. Il est constitué, dans presque toute son étendue, par les affleurements du gypse, du calcaire grossier et des argiles supercrétacées; l'arrondissement de Fontainebleau est le seul qui repose pour moitié, sur les grès et les sables auxquels il a donné géologiquement son nom. Tous ces affleurements présentent quelques îlots de terres à meulières. En un mot, le département de Seine-et-Marne repose sur le terrain du bassin de Paris, si merveilleusement propre aux cultures les plus variées. Sa surface, traversée par les belles vallées de la Seine et de la Marne, est en outre accidentée d'une multitude de coteaux, à pentes sud et est, offrant les sites les plus favorables à la viticulture. Il y a donc là une richesse vignoble à développer et non à abandonner, comme on paraît le faire aujourd'hui, surtout dans l'arrondissement de Fontainebleau et dans celui de Melun.

Le climat est meilleur encore que celui de la Champagne pour la culture des pineaux noirs et blancs, des plants verts dorés et des arnoisons blancs, qui font l'honneur et la fortune du département de la Marne. Autrefois, les pineaux noirs, le meunier, le tresseau, le fromentin, le samoreau, le meslier, y étaient plus cultivés que le rochelle, les gouais et le gamay; mais c'est le contraire qu'on observe aujourd'hui : aussi les vins de Seine-et-Marne sont-ils verts et froids, ou bien plats et grossiers. Toutefois on produit encore quelques bons vins, de petit ordinaire, dans l'arrondissement de Fontaînebleau, dans celui de Melun, à Lagny et à la Ferté.

Dans l'arrondissement de Melun, la vigne est généralement cultivée en planches, à trois et à cinq rangs: les rangs sont maintenus en ligne, par le provignage, à Boissise-la-Bertrand, à Grisy-Suines, à la Chapelle Gauthier et à Saint Fargeau; elles sont mises en foule à Machault, à Vaux-lePenil, à Maincy et à Héricy.

Les plantations, en général, sont faites en rayons ou fossés peu profonds, en boutures de simples sarments coudés sous le sol, et c'est après la plantation que le sol est formé en planches. Quand on replante sur défrichement de vignes, on laisse reposer la terre un certain temps.

Toutes les vignes sont munies d'échalas de 1m25 à 1m35, lorsqu'elles sont complétées par le provignage; les plants sont disposés, à la plantation, à 8o centimètres ou 1 mètre, et, après le provignage, les ceps sont à 45, 50 ou 60 centimètres.,

Toutes les vignes sont dressées à 15 ou 20 centimètres de terre et taillées à un, deux ou trois coursons à deux yeux rarement à trois. Voici (fig. 299) un dessin, envoyé d'Héricy-sur-Seine, qui montre le dressement et la taille des vignes, ainsi que la dispositiondu sol en planches. La figure 300 donne la végétation et la taille de Machault, à trois coursons, à un oeil. Les cépages rouges les plus répandus sont le bourguignon, le samoreau, le gamay et le meunier; les blancs sont le meslier et le rochelle. On taille généralement en février et mars, on ébourgeonne fin mai, on relave et on attache en juin et juillet; on ne pince pas, mais on rogne en août. On donne le plus généralement un labour en avril, un binage en juin et un autre en août ou septembre. On entretient par le provignage, au taux d'environ mille provins à l'hectare.

Les vignes sont généralement arrachées à vingt, vingt-cinq ou trente ans; pourtant en quelques pays, comme à Saint-Fargeau, on les perpétue par le provignage. Les uns fument les vignes au provin seulement, d'autres les fument à plein; quelques-uns y portent des terres.

La production moyenne serait, d'après les enquêtes, bien au-dessus de 40 hectolitres, et le prix moyen de l'hectolitre bien supérieur à 25 francs. Beaucoup de vignobles déclarent vendre à 50 francs l'hectolitre, mais ils récoltent moins; d'autres n'accusent qu'un prix de 15 francs, mais ils récoltent beaucoup plus. Cela tient à ce que, dans les vignobles de l'arrondissement de Melun, ceux des côtes donnent les meilleurs vins, et ceux de la plaine suppléent à la qualité par la quantité.

En somme, chaque hectare rapporterait en moyenne 1 000 francs bruts, rendement qui est loin d'être exagéré.

Les vignes sont cultivées, soit directement par leurs propriétaires, et c'est la plus grande partie, soit à façon et à prix fixe. La moyenne dépense d'un hectare est d'environ 380 francs, qu'on peut porter à 600 francs avec vendanges, fumures et façons d'extra.

La main-d'oeuvre est rare et chère : la journée d'homme se paye de 2 à 4 francs, et celle de femme de 1,50fr à 2 francs; les prix des façons ont toujours été en augmentant.

Les meilleures vignes valent en moyenne 5000 francs l'hectare, et les meilleures terres, de même qualité, environ 1,000 francs de moins seulement.

Le ban de vendange est à peu près partout aboli.

La vendange est foulée avant fermentation. Dans certaines localités, on prolonge la cuvaison de huit à vingt jours, outre un temps assez long pour remplir la cuve. On ne mêle pas le vin de presse avec le vin de cuve. On ne fait plus guère de piquettes; on distille plus généralement les marcs.

A Saint-Fargeau, à Boissise, à Héricy, les vins se gardent trois et quatre ans; partout ailleurs ils sont bus dans l'année.

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