De toutes les rivières qui donnent à
la région de Paris, à l'ancienne Ile de France, mouvement,
murmure et fraîcheur, il en est peu d'aussi modeste que l'Ecole.
L'Ecole n'a ni l'ampleur de l'Oise, ni le calme lent et régulier
de la Marne, ni la vivacité de l'Epte, ni le caprice de l'Orge.
Elle est, avant tout, une forestière, une villageoise; elle
glisse en chantant entre les bois et les prairies, se fait humble,
discrète ; et, tandis que le Loing à droite et l'Essonne
à gauche de son cours offrent un flot abondant, de larges
rives et de hardis détours, elle n'est guère qu'un
trait bleu, un ruban d'azur, bordé de mousse et d'herbes,
aperçu çà et là parmi les saules.
Rivière
du Gâtinais, de ce Gâtinais français dont le
chef-lieu était Nemours, elle est comme l'âme même,
l'âme tintante, cristalline et douce de cette contrée
d'arbres, de miel et de bruyères. Tout ce qui fait la joie
des peintres, le repos des promeneurs et le bonheur des abeilles
se rencontre en ce pays de grands arbres, de belles roches et de
son sable ; et l'on peut dire qu'aussitôt sa naissance, au
Vaudoué même, au seuil des merveilleux fourrés
de Fontainebleau, elle est une bûcheronne, une dryade de village
et que, sous sa cape couleur de chaume, elle ressemble à
ces paysannes que Millet a vu dans ces pâturages, menant des
troupeaux, glanant les épis, ou le soir, à l'heure
de l'angélus, joignant les mains pour se recueillir et pour
prier.
Du Vaudoué, source de l'Ecole, à
la petite ville de Milly, distante d'une bonne lieue de ce point
même, il y a deux routes. A droite, la route des arbres et
de Noisy sur Ecole
est toute forestière ; mais, à gauche, la vieille
route d'Oncy, plus à découvert, présente au
regard rêveur maints détours paresseux. Ce n'est pas
un pays bien important qu'Oncy ; mais n'oublions pas que c'est à
l'ombre de son clocher, entre ses vieux murs mangés de lierre
et sonores de ruches, qu'a grandi - ancêtre de notre modeste
Millet - ce maître peintre qui devait, au bord de la petite
Ecole et tandis que, dans un ciel vaporeux, mourait le soleil du
soir, retrouver un rayon du pinceau du grand Claude : Mathurin Lantara.
Il n'y eut jamais peintre plus joviale et plus distrait, ni d'une
plus fine et agreste bonhomie, que Lantara. Arsène Houssaye,
qui ne connut pas ces bords délicieux, écrit du fils
du tisserand d'Oncy qu'il « était né pour l'insouciance
des vallées »; mais l'insouciance et le refuge des
grands chênes, des pins parfumés et des vieux hêtres
étaient aussi chers à la rusticité d'un tel
homme. Et ce n'est pas en vain qu'à peu de chemin d'ici,
dans la forêt proche, il y a ce Dormoir de Lantara
blotti comme un nid à l'ombre. D'Oncy à Milly,
la grande route de Malesherbes à Melun rejoint la rivière
et la franchit même.......Ce Milly-là, élevé
en Gâtinais, si riche et actif jadis, ce n'est point comme
le Milly de Lamartine, caché au creux d'un vallon, le berceau
du génie d'un grand poète ; et pourtant Milly, ce
Milly de Louis XI et de Henri IV, cité de négoce et
de culture, carrefour de malles-postes et de diligences, eut bien
son heure de gloire, son instant de richesse. Et cela se voit encore
à ses monuments, à son vieux château, à
son église Notre-Dame et surtout à sa halle si vénérable, si
curieuse, d'une charpente pittoresque et que le roi Louis fit construire
en son temps pour «le détail des bleds»..
......Mais le temps n'est plus, désormais, pour Milly, du
commerce actif, de l'afflux des marchands venus de tout le Gâtinais
; et sur l'ancien pavé, témoin des vieux âges,
ne passe plus, au galop des chevaux dans un bruit de postillons,
ce carrosse fameux, venu de Fontainebleau, qui menait à Malesherbes,
chez la jolie d'Entragues, le roi Vert-Galant !
De Milly à Courances, le chemin est bien
beau sous les arbres ! Et comme elle est glissante, l'Ecole ! Et
comme ce nom de Courances a quelque chose de frais, de clair et
de jaseur ainsi que les eaux mêmes des rivières ! Courances
est une vieille terre et un beau domaine ; et c'est Dezallier d'Argenville,
l'écrivain des jardins et vergers, qui l'a dit : «
la blancheur et le courant des eaux de ce beau lieu l'ont fait nommer
Courances Ce ne sont là, en effet, autour
du grand corps de logis, bâti en pierres et en briques et
coiffé d'ardoises, précédé d'un terre-plein
flanqué de deux pavillons, que douves emplies d'eaux dormantes,
canaux argentés faits pour les nacelles et, partout, que
jaillissement des sources, chant des cascades........ Mais,
des parterres bien distribués au pied des terrasses, au long
des canaux, entre les douves, il en est - dans tout ce grand pays
- de vraiment magnifiques. Ne dit-on pas que le canal du château
de Fleury en Bière (jadis Fleury d'Argouges) servit de modèle
à celui de Fontainebleau? Et qu'est-ce que Fleury en Bière...Mais,
avec son grand logis d'une architecture si française et très
Renaissance, avec ses fossés, ses tours, c'est bien le complément
du luxueux Courances. Fleury, de même que Courances d'ailleurs,
appartint, au temps du Roi Henri II, au Grand Maître des Eaux
et Forêts, Henry Clausse. Et, de ce fait, des forêts
et des eaux, il en est, dans ce verdoyant pays, à profusion.
La forêt, actuellement nommée Fontainebleau, est la
même que celle dont a parlé Rabelais, quand il écrit,
de la jument de Gargantua, que les gens de Paris, en reconnaissance
envers son bon maître, « l'envoyèrent vivre en
forest de Bière». Et pour les eaux, qui sont celles
du Rebais, affluent de l'Ecole, nulle part ailleurs elles n'ont
cette limpidité !
Le Rebais, puisque nous le
nommons, bien qu'il ne soit qu'un rû caché entre les
joncs et sous les feuilles, sert de limite à cette plaine
vaste et silencieuse, appelée plaine de Barbizon,
que foulèrent tant de fois Millet et Rousseau, les grands
peintre. Depuis Arbonne, dont le maître Cazin peignit le clocher
avec tant d'amour, jusqu'à Cély, dressé sur
un coteau et renommé pour ses cerises, à Soisy, pays
de moulins, dressé entre l'aqueduc de la Vanne et l'Ecole,
ce ne sont que bois, boqueteaux, fourrés. Et, dans ces bois,
au creux des combes ou sur les pentes, le sol, semblable à
celui de la forêt voisine, se fleurit du buisson rose
des bruyères . Ainsi,grossie
des eaux du Rebais, la petite Ecole, rivière forestière,
avance à flots lents et doux. Les coteaux villageois de Saint
Germain couverts de vignes, les toits discrets de Saint Sauveur
s'inclinent, pour se mirer mieux au bord de son cours. Pour peu
que nous suivions ce dernier à travers ses méandres,
au creux du vallon, par Montgermont et Pringy, nous atteignons Ponthierry
; mais là, battue par les moulins, divisée par les
vergers, face au bois de Sainte-Assise, non loin du pont, l'Ecole
atteint la Seine et s'y jette. Avec elle, ce sont les reflets des
eaux vives et les teintes des bois, l'image humble des villages
ou hautaine des chateaux, le Gâtinais entier avec son miel,
sa terre et ses fleurs, qui semblent aboutir au plus admirable et
français des fleuves.
Edmond Pilon |