Fil d'Ariane > Région > Vallée de l'Ecole

En pleine guerre de 1914 naissait une nouvelle revue de tourisme, " En Route !" dont le destin devait être éphémère. Ce bi-mensuel illustré, né en juin 1916 , cessait de paraître en juillet 1919. Dans son n° 38 du 15 avril 1917 paraissait un article de l'historien de l'Art Edmond Pilon, spécialiste de l'Ile de France, sur "la vallée de l'Ecole". Voici quelques extraits de ce parcours poético-historique qui était illustré de gravures et de vignettes où apparaît déjà l'abeille, symbole du Gâtinais.
 

  
 


Gravure plein écran 58 k°

Il y aura quelque jour un mouvement de touristes dans cette vallée de l'Ecole où les sites charmants et curieux abondent...
                                                                                         
Ardouin-Dumazet

De toutes les rivières qui donnent à la région de Paris, à l'ancienne Ile de France, mouvement, murmure et fraîcheur, il en est peu d'aussi modeste que l'Ecole. L'Ecole n'a ni l'ampleur de l'Oise, ni le calme lent et régulier de la Marne, ni la vivacité de l'Epte, ni le caprice de l'Orge. Elle est, avant tout, une forestière, une villageoise; elle glisse en chantant entre les bois et les prairies, se fait humble, discrète ; et, tandis que le Loing à droite et l'Essonne à gauche de son cours offrent un flot abondant, de larges rives et de hardis détours, elle n'est guère qu'un trait bleu, un ruban d'azur, bordé de mousse et d'herbes, aperçu çà et là parmi les saules.

          Rivière du Gâtinais, de ce Gâtinais français dont le chef-lieu était Nemours, elle est comme l'âme même, l'âme tintante, cristalline et douce de cette contrée d'arbres, de miel et de bruyères. Tout ce qui fait la joie des peintres, le repos des promeneurs et le bonheur des abeilles se rencontre en ce pays de grands arbres, de belles roches et de son sable ; et l'on peut dire qu'aussitôt sa naissance, au Vaudoué même, au seuil des merveilleux fourrés de Fontainebleau, elle est une bûcheronne, une dryade de village et que, sous sa cape couleur de chaume, elle ressemble à ces paysannes que Millet a vu dans ces pâturages, menant des troupeaux, glanant les épis, ou le soir, à l'heure de l'angélus, joignant les mains pour se recueillir et pour prier.

Du Vaudoué, source de l'Ecole, à la petite ville de Milly, distante d'une bonne lieue de ce point même, il y a deux routes. A droite, la route des arbres et de Noisy sur "Clair de lune". Mathurin Lantara (1729-1778)  Musée de CopenhagueEcole est toute forestière ; mais, à gauche, la vieille route d'Oncy, plus à découvert, présente au regard rêveur maints détours paresseux. Ce n'est pas un pays bien important qu'Oncy ; mais n'oublions pas que c'est à l'ombre de son clocher, entre ses vieux murs mangés de lierre et sonores de ruches, qu'a grandi - ancêtre de notre modeste Millet - ce maître peintre qui devait, au bord de la petite Ecole et tandis que, dans un ciel vaporeux, mourait le soleil du soir, retrouver un rayon du pinceau du grand Claude : Mathurin Lantara. Il n'y eut jamais peintre plus joviale et plus distrait, ni d'une plus fine et agreste bonhomie, que Lantara. Arsène Houssaye, qui ne connut pas ces bords délicieux, écrit du fils du tisserand d'Oncy qu'il « était né pour l'insouciance des vallées »; mais l'insouciance et le refuge des grands chênes, des pins parfumés et des vieux hêtres étaient aussi chers à la rusticité d'un tel homme. Et ce n'est pas en vain qu'à peu de chemin d'ici, dans la forêt proche, il y a ce Dormoir de Lantara blotti comme un nid à l'ombre.

D'Oncy à Milly, la grande route de Malesherbes à Melun rejoint la rivière et la franchit même.......Ce Milly-là, élevé en Gâtinais, si riche et actif jadis, ce n'est point comme le Milly de Lamartine, caché au creux d'un vallon, le berceau du génie d'un grand poète ; et pourtant Milly, ce Milly de Louis XI et de Henri IV, cité de négoce et de culture, carrefour de malles-postes et de diligences, eut bien son heure de gloire, son instant de richesse. Et cela se voit encore à ses monuments, à son vieux château, à son église Notre-Dame et surtout à sa halle si vénérable, si curieuse, d'une charpente pittoresque et que le roi Louis fit construire en son temps pour  «le détail des bleds»..
......Mais le temps n'est plus, désormais, pour Milly, du commerce actif, de l'afflux des marchands venus de tout le Gâtinais ; et sur l'ancien pavé, témoin des vieux âges, ne passe plus, au galop des chevaux dans un bruit de postillons, ce carrosse fameux, venu de Fontainebleau, qui menait à Malesherbes, chez la jolie d'Entragues, le roi Vert-Galant !

De Milly à Courances, le chemin est bien beau sous les arbres ! Et comme elle est glissante, l'Ecole ! Et comme ce nom de Courances a quelque chose de frais, de clair et de jaseur ainsi que les eaux mêmes des rivières ! Courances est une vieille terre et un beau domaine ; et c'est Dezallier d'Argenville, l'écrivain des jardins et vergers, qui l'a dit : « la blancheur et le courant des eaux de ce beau lieu l'ont fait nommer Courances Ce ne sont là, en effet, autour du grand corps de logis, bâti en pierres et en briques et coiffé d'ardoises, précédé d'un terre-plein flanqué de deux pavillons, que douves emplies d'eaux dormantes, canaux argentés faits pour les nacelles et, partout, que jaillissement des sources, chant des cascades........
Mais, des parterres bien distribués au pied des terrasses, au long des canaux, entre les douves, il en est - dans tout ce grand pays - de vraiment magnifiques. Ne dit-on pas que le canal du château de Fleury en Bière (jadis Fleury d'Argouges) servit de modèle à celui de Fontainebleau? Et qu'est-ce que Fleury en Bière...Mais, avec son grand logis d'une architecture si française et très Renaissance, avec ses fossés, ses tours, c'est bien le complément du luxueux Courances. Fleury, de même que Courances d'ailleurs, appartint, au temps du Roi Henri II, au Grand Maître des Eaux et Forêts, Henry Clausse. Et, de ce fait, des forêts et des eaux, il en est, dans ce verdoyant pays, à profusion. La forêt, actuellement nommée Fontainebleau, est la même que celle dont a parlé Rabelais, quand il écrit, de la jument de Gargantua, que les gens de Paris, en reconnaissance envers son bon maître, « l'envoyèrent vivre en forest de Bière». Et pour les eaux, qui sont celles du Rebais, affluent de l'Ecole, nulle part ailleurs elles n'ont cette limpidité !

Le Rebais, puisque nous le nommons, bien qu'il ne soit qu'un rû caché entre les joncs et sous les feuilles, sert de limite à cette plaine vaste et silencieuse, appelée plaine de Barbizon, que foulèrent tant de fois Millet et Rousseau, les grands peintre. Depuis Arbonne, dont le maître Cazin peignit le clocher avec tant d'amour, jusqu'à Cély, dressé sur un coteau et renommé pour ses cerises, à Soisy, pays de moulins, dressé entre l'aqueduc de la Vanne et l'Ecole, ce ne sont que bois, boqueteaux, fourrés. Et, dans ces bois, au creux des combes ou sur les pentes, le sol, semblable à celui de la forêt  voisine, se fleurit du buisson rose des bruyères
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Ainsi,grossie des eaux du Rebais, la petite Ecole, rivière forestière, avance à flots lents et doux. Les coteaux villageois de Saint Germain couverts de vignes, les toits discrets de Saint Sauveur s'inclinent, pour se mirer mieux au bord de son cours. Pour peu que nous suivions ce dernier à travers ses méandres, au creux du vallon, par Montgermont et Pringy, nous atteignons Ponthierry ; mais là, battue par les moulins, divisée par les vergers, face au bois de Sainte-Assise, non loin du pont, l'Ecole atteint la Seine et s'y jette. Avec elle, ce sont les reflets des eaux vives et les teintes des bois, l'image humble des villages ou hautaine des chateaux, le Gâtinais entier avec son miel, sa terre et ses fleurs, qui semblent aboutir au plus admirable et français des fleuves.

Edmond Pilon

  

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