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Le 27 novembre 1921, un chroniqueur parisien écrivait ces quelques lignes : « Hier soir, qui était un samedi,
Mlle Yvonne Brothier, de l'Opéra-Comique, dînait chez des amis à Melun, quand elle s'aperçut que, le soir même, avait lieu à Paris un concert auquel elle avait promis son concours. L'heure tardive ne permettant pas de réparer cet oubli, Mlle Brothier s'est rendue à la station de téléphonie sans fil de Sainte-Assise et a pu, en chantant dans le cornet émetteur de ce poste, se faire entendre à l'heure promise à Paris ».

L'auteur ne se doutait pas, en rapportant cet incident, qu'il signait l'acte de naissance d'un média destiné à un bel avenir ! En réalité, cet "évènement" n'avait rien de fortuit. On trouvera dans les ouvrages ou les sites cités ci-dessous, la longue histoire de la Télégraphie Sans Fil ainsi que celle de l'émetteur de Saint-Assise. Mais la transmission de la voix humaine (Téléphonie ou Radiophonie) n'en était encore, en France, qu'à des essais de laboratoire. C'est pour la faire connaître du grand public (et la lancer commercialement) que la Compagnie générale de TSF et sa filiale, la SFR, ont organisé le premier "concert en direct" radiodiffusé en France.



Le 26 novembre 1921, deux cent cinquante savants et ingénieurs sont réunis dans les salons du Lutétia à Paris. C'est le point d'orgue des fêtes organisées par la Société des ingénieurs électriciens à l'occasion du centenaire des travaux d'Ampère. Le banquet est présidé par Paul Laffont, sous-secrétaire d'Etat aux PTT. Les convives n'ont pas remarqué des haut-parleurs, habilement masqués, tout autour de la salle, par la décoration florale. Au dessert, un jeune acteur, pensionnaire du Théatre Antoine, ancien élève d'une école d'électricité, se lève pour une annonce.

Charles BoyerIl s'appelle Charles Boyer et deviendra bientôt un des artistes les plus connus du cinéma mondial :
" Messieurs, la fée Electricité est une personne éthérée qui ne saurait, malgré son désir, lever son verre à votre santé. Subtile, pour s'en excuser, elle vous ménage une surprise. De son dernier palais, le grand centre de télégraphie de Saint-Assise, des ondes vont s'envoler jusqu'à vous, et ces ondes, en votre honneur, en l'honneur de la science électrique française, vont vibrer, toutes modulées d'harmonie. Cette voix, messieurs, sera la voix de votre amie la fée, une voix qui vous dit à tous : merci de daigner m'écouter".

A quarante kms de là, à Saint-Assise, la "salle des lampes" de la station Paris-Londres est en pleine effervescence. Les techniciens s'affairent autour d'un émetteur expérimental (1 kw de puissance) "grandes ondes sur 2400m. Yvonne Brothier, une des meilleures cantatrices françaises de l'époque, fait face à un un long micro en forme de cornet. Elle ne cache pas son trac : « J'étais un peu inquiète car les techniciens m'avaient recommandé de ne pas pousser de notes trop aigües; cela risquait, parait-il, de faire sauter les lampes...Alors, j'ai commencé presque en sourdine.

Yvonne Brothier devant le micro de Sainte-Assise

 Mais peut-on chanter la Marseillaise en sourdine? Je me suis dit qu'en des circonstances aussi exceptionnelles, le matériel français accomplirait, lui aussi  des performances exceptionnelles. J'ai chanté de tout mon coeur, de toute mon âme et les lampes ont tenu »
Au Lutétia, le succès est complet. Les invités, debout pour la Marseillaise, écoutent avec ravissement  l'air de Rosine du Barbier de Séville et la valse de Mireille au texte opportunément symbolique : ...Messagère fidèle, vers mon ami vole gaîment...parle-lui pour moi-même...
 

 "Ce petit fait, à la vérité, resta précisèment petit puisqu'un seul quotidien devait le relater avec trois jours de retard". Monsieur Bouillane, le responsable technique de l'expérience, n'y voyait d'ailleurs qu'une vulgarisation amusante et sans lendemain ! Pourtant Sainte-Assise continue à émettre à titre expérimental, très vite imitée par de nombreux petits constructeurs et, en quelques années, le "poste de radio" apparait dans la plupart des foyers français. Avec le recul du temps, Yvonne Brothier réalisera, avec fierté, que sa voix avait ouvert un nouveau chapitre de l'histoire de la communication...

Pour aller plus loin : deux ouvrages dont sont extraites les citations en italique :
Francis-Cover. Ecrit sur l'Onde. Paris 1950, p 170.
  Brochand (Christian)  Histoire générale de la radio et de la télévision en France. Paris 1994
http://perso.wanadoo.fr/mairie-seine-port/06_Village/HistoireSeinePort/RadioFrance/CTS.htm
   
http://perso.club-internet.fr/dspt/Sainte_assise.htm           http://pascalsimeon.free.fr/radioly.htm  

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