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Trotsky à Barbizon ( 1933 - 1934 ) Le
jeudi 12 avril 1934, vers 22 h 45, la brigade de gendarmerie de
Ponthierry, sous les ordres du chef de brigade Quintard, qui "depuis
quelque temps surveillait les allées et venues d'un
motocycliste lui paraissant faire les courses de la villa Ker
Monique (à Barbizon),
interpella ce dernier et lui dressa procès-verbal pour défaut
d'éclairage...Ce jeune homme était porteur de papiers
d'identité au nom de Klément, de nationalité allemande,
étudiant en philosophie.... Il ne put fournir de pièces
justifiant qu'il était propriétaire de la moto et fut gardé à
vue." (A.N. F7 13981 Dossier Trotsky) |
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Cette simple infraction au code de la route, en apparence bien banale, va déclencher une tempête médiatique et attirer, pendant une folle semaine, reporters et caméras du monde entier dans le paisible quartier du Grand Veneur à Barbizon. |
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Car, à défaut de papiers pour sa moto, Klement était porteur d'un volumineux courrier adressé à Mr "Léon Sedoff" et d'un paquet de journaux dont la bande portait Mr Léon Trotsky ! L'homme "au couteau entre les dents" était dans nos murs ! |
Pourtant, la présence de Trotsky à Barbizon était bien connue du gouvernement et de la presse. A l'issue du long conflit qui l'avait opposé à Staline, l'organisateur de la Révolution d'Octobre et de l'Armée Rouge avait été expulsé d'U.R.S.S en 1929 et s'était installé à Prinkipo, en Turquie. Il regroupe l'opposition communiste et prépare la création de la IV° Internationale. Mais il est isolé et étroitement surveillé par la police d'Ataturk. En 1933, il obtient l'autorisation de résider en France : "en raison des dangers qui le menaçaient, il lui a été permis de vivre sous le nom de Sedoff et des papiers à ce nom lui ont été remis" (note des R.G. - A.N. F7 13981). Il débarque près de Marseille, sous surveillance policière, le 24 juillet. |
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L'ACTIVITE LE JOURNAL DU 16 AVRIL 1934 |
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L'INTRANSIGEANT - DERNIÈRE HEURE - 17-4-34 |
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Cela avait débuté comme toujours: quelques personnes, un soir, avaient été trouver le maire du village et, derrière les volets clos, lui avaient confié leurs appréhensions: - Monsieur Roger, je vous assure qu'il se passe quelque chose de louche à Ker Monique. Ces gens-là, on ne les voit jamais. Personne, aucun fournisseur même ne peut pénétrer jusqu'à la villa. Vous devriez écrire à Melun, au procureur, pour qu'on voit un peu se qui se fabrique là-dedans, car, monsieur le maire, tout cela nous parait louche! M. Marcel Roger, maire de la charmante petite |
commune de Barbizon, située entre Melun et Fontainebleau, en plein milieu de la forêt, bien qu'il n'ajoutât pas grande importance à ces commérages de village, voulut satisfaire ses administrés et écrivit à Melun. Mais le procureur de la République...ne put rien faire d'utile et, mon Dieu, comme les craintes des habitants de Barbizon se faisaient chaque jour plus fortes, on songea à demander de délivrer des commissions rogatoires afin de permettre au Procureur de perquisitionner. Une simple contravention permit de faire cette opération. |
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UN PLAN DE CAMPAGNE ET UN SIEGE PACIFIQUE (LE JOURNAL DU 16 AVRIL 1934) |
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Rien ne permettait de se rendre compte de visu de ce que contenait la fameuse villa qui avait tant intrigué les Barbizonnais. En interdisant aux officiers de police judiciaire de procéder aux perquisitions de flagrant délit, la loi d février 1933 sur la liberté individuelle paralysait une fois de plus l'action de la police Vendredi matin, une conférence réunit dans le bureau de M.Berthoin, directeur de la Sûreté Générale, diverses personnalités et M.Blache. Au cours de cette conférence, il fut décidé qu'une "confrontation" du motocycliste et de ses amis aurait lieu à la villa même .L'opération projetée, qui devait prendre l'allure d'un véritable, siège, fut fixée à samedi matin. |
Le parquet de Melun, M. Cerède,
procureur de la République, le juge d'instruction Levy et son
greffier, M.Chamelot, prirent rendez-vous avec M.Blache qui,
lui-même, avait été rejoint par deux inspecteurs venus du
contrôle des recherches judiciaires à la Sûreté Générale et
par un troisième collègue appartenant au contre-espionnage. |
Mousqueton au poing, les gardes se déployèrent en cordon autour du parc tandis que les membres du parquet et les policiers attendaient le lever du jour pour entrer en scène. A six heures du matin, Klement fut extrait de la voiture dans laquelle il avait passé la nuit et la visite commença. Deux molosses, mis hors d'état de nuire par leurs gardiens livrèrent le passage et magistrats et policiers purent être introduits près du "maître". Il ne pouvait s'agir de perquisition: on ne procéda donc qu'à une brève opération qui permit tout juste de s'assurer de la personnalité des hôtes de la villa. Outre M.Trotsky et sa femme, il y avait deux gardes du corps, un Polonais et Klement et une cuisinière allemande. |
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L'ECHO DE PARIS |
LE JOURNAL |
L'ACTION FRANÇAISE |
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Moscou, au gré de
Trotsky, tarde trop à mettre à feu et à sang toutes les
capitales du continent...Les troubles de février ont été
suivis avec une attention passionnée par Trotsky. Pendant la
journée sanglante du 6, l'agitateur révolutionnaire, dans sa
villa de Barbizon, était tenu, heure par heure, au courant de
la marche des événements... |
Nous savons, de science
certaine, que ce misérable gredin n'était à Barbizon que pour
organiser la fameuse émeute de mai, que s'apprêtait à
maîtriser Albert Sarraut Léon Daudet |
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Pour le Populaire de Léon Blum, le gouvernement menacé à droite (le 6 février) comme à gauche (le 12), empoisonné par l'affaire Stavisky qui vient d'éclater, ne sait quelle histoire inventer, quel roman forger, pour nous distraire des dangereuses réalités du moment. Nous n'avons pas à juger Trotski en tant qu'homme politique. Mais en tant qu'exilé? Quel hôte de la France fut jamais plus discret, plus effacé, moins encombrant? |
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Discret certes mais extrêmement actif ! Peu de visites mais un volumineux courrier que, par souci du secret, Klement poste et retire Rue du Louvre, à Paris. Et Trotsky se rend discrètement à Paris une ou deux fois par semaine: la note des R.G. - aux Archives Nationales ( F7 13981) en témoigne. Cela suffit au gouvernement pour annuler, le 17 avril, l'autorisation de séjourner en France: Cette mesure s'imposait, M.Trotsky n'ayant pas observé les devoirs de neutralité auxquels il s'était engagé au moment où l'autorisation lui fut accordée, déclare le ministre de l'intérieur, Albert Sarraut. |
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Partira ? Partira pas ? |
L'attente
autour de la villa |
Toute
la nuit chez Trotsky |
«Je vous dis qu'il est parti ce matin et avant l'aube
! » assure péremptoirement un cycliste de seize ans, appuyé
sur son guidon et contemplant, à travers les barreaux de Ker
Monique, les chiens-loups de l'ex-dictateur rouge comme on
regarde des lions à la ménagerie. Le Journal - 18.4.34 |
La thébaïde du "dictateur rouge" fait désormais
figure de pèlerinage. Il n'est guère d'habitants du pays qui
n'aille matin et soir prendre leur petite faction devant le
portail. On rencontre sur le chemin du bornage la jeune fille
chef de gare du petit train-tramway qui va à Melun; le
photographe amateur qui attend l'occasion de prouver ses
talents; le petit rentier soigné à qui la barbiche blanche et
les grosses lunettes d'écaille donnent un faux air de Trotsky. Le Journal - 21.4.34 |
Hier,dans l'après-midi, une camionnette d'une maison
de déménagement de Melun apportait, à la maison désormais
célèbre du chemin de bornage, huit grandes caisses vides. (L'Intransigeant - 21.4.34). |
Léon
Trotsky est-il vraiment encore dans cette maison dont toutes
les pièces sont obscures ? On a peine à le croire, d'autant
plus qu'une voisine nous disait, tout à l'heure : « Vous savez
qu'il disposait d'une limousine noire. Et bien, dimanche soir
vers 19 heures, je vis la voiture qui sortait. Les chiens
hurlaient. On ne m'enlèvera pas de l'idée que Trotsky est
parti ce soir-là » (L'Intransigeant -
21.4.34). |
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Madame Neuburger, la voisine, avait raison. Craignant pour sa vie, Trotsky avait quitté clandestinement Barbizon dès le dimanche 15 au soir pour se réfugier à Lagny. Le gouvernement accepte de "tolérer" sa présence en France en attendant qu'il trouve un pays d'accueil. Mais il est trop près de Paris |
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:Après des semaines d'errance, c'est dans la région de Grenoble qu'il se cache pendant un an. On parle déjà du Mexique comme terre d'asile mais quand il quitte la France le 14 juin 35, c'est pour la Norvège. Ce n'est qu'en janvier 37 qu'il arrive à Coyoacán, près de Mexico, où il sera assassiné le 20 août 40. |
A
Barbizon, le calme est revenu et le bon sens reprend ses droits.
Le boulanger est navré car l'ancien commissaire du peuple
était un client qui payait rubis sur l'ongle : « Que
voulez-vous, toutes les précautions prises par Trotsky pour se
dérober aux indiscrétions doivent paraître très normales.
Honni des Russes rouges, honni des Russes blancs, chassé de
partout, Trotsky avait trouvé un refuge chez
nous. Préparait-il la IV° Internationale ? Je ne sais.
Toujours est-il qu'il craignait pour sa peau. Les histoires
vont vite...Ne m'a-t-on pas dit qu'un souterrain avait été
percé de Ker Monique au château de Fontainebleau afin de faire
sauter celui-ci ! Voyez-vous, Monsieur, tout cela n'est pas
sérieux.» Pourtant l'historien se prend parfois à rêver. En 1934 " conscient que se noue en France une situation qui peut, à brève échéance, entrer dans une phase révolutionnaire, Trotsky espère, à ce moment, pouvoir jouer , dans le pays décisif qu'elle est désormais, un rôle de catalyseur et de conseiller..( P.Broué). Pas d'ampoule de phare grillée, pas de gendarme au carrefour de Ponthierry , pas de scandale, pas d'expulsion : Trotsky, en 1936, dans l'effervescence du Front Populaire ? © Jean ROBERT 2001 |
SOURCES:
BROUÉ (Pierre),
Trotsky, Fayard, Paris, 1988, chapitre XLIX, Séjour libre en
France.
VAN HEIJENOORT, (Jean ), Sept ans auprès de Léon Trotsky : de
Prinkipo à Coyoacán, Laffont,Paris, 1978.
TROTSKY (Léon), Ma vie,En
France, appendice par Alfred Rommer, est disponible
sur http://colorado.marxists.org/archive/noneng/francais/trotsky/livres/mavie/rosfran.htm
Un article de P.Broué sur Klement et sa fin tragique est disponible, en
traduction anglaise,
sur http://www.revolutionary-history.co.uk/backiss/Vol1/No1/Klement.html
Journaux d'époque cités dans le texte.
ARCHIVES: Les
documents ayant servi à rédiger ce texte ont été remis aux Archives de
Seine et Marne.
Sous la cote 150 J 171, il a été regroupé avec des coupures de journaux
qui y figuraient sous la cote AZ 3199.
Aux Archives nationales le dossier Trotsky (. F7 13981) contient un
rapport du procureur de Melun.
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