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Le blé et
la vigne
Vers
1610, Jean de la Barre ouvre son "Histoire des Antiquitez de
la Ville, Comté et Chastelenie de Corbeil" par un tableau
idyllique de la région : en ce pays,
outre les forêts de bois, taillis et hautes futaies, il y
a de longues plaines et vallons, propres au labourage, pour le rapport
de toutes sortes de grains, légumes et fruits. Les coteaux
sont tous plantés de vignes.... En cette contrée,
il ne manque rien qui soit nécessaire à la vie humaine.
On y recueille des blés, avoine, orges et toutes autres sortes
de grains…il y croît des vins blancs et clairets à
foison…Mais il connaît aussi les
difficultés des habitants : Nonobstant
toutes ces commoditez, le peuple y est pauvre, à cause que
la plus grande partie des héritages sont aux ecclésiastiques
ou bien aux bourgeois de Paris, excepté quelque peu de noblesse
éparse par la campagne.
Les riches limons des plateaux,
défrichés depuis le Néolithique,
étaient réservés aux "grains", diverses
céréales, qui formaient alors la base de la nourriture.
La plus grande partie de la récolte ravitaillait Paris, via
Corbeil, par le bateau "Corbillard" qui descendait la
Seine deux fois par semaine. Mais si le blé, principale source
de richesse, se transformait en or, c’était au bénéfice
des grands seigneurs propriétaires et de leurs gros fermiers.
Labours, semailles et moissons donnaient, il est vrai, du travail
aux journaliers sans terre. Par contre, la vigne et le vin, c’était
l’affaire de tous ! "Nos ancêtres
les Gaulois", producteurs de cervoise, ne connaissaient pas
la vigne, mais les marchands romains leur avaient fait découvrir
le goût du vin. Très vite, les moines et seigneurs
créent leurs vignobles. Ensuite les habitants du pays réussissent
à se tailler, lopin par lopin, de petites exploitations
qui leur permettent survie et indépendance : un hectare et
demi de vignes (et une année de travaux incessants ! ) font
vivre une famille.
Pour l'Intendant royal et l'évêque,
Saint Fargeau et les hameaux voisins, avec leurs 140 "feux"
(600 habitants ?) et 3500 livres de "taille",
forment une "bonne et grosse paroisse". Pourtant les années se suivent et ne se ressemblent
pas. "En 1781, il y eut une si grande
abondance de vins que les plus anciens ne se sont point souvenus
d'entendre dire de leurs ancêtres qu'il y en avait eu de pareille"
(registre paroissial)
et... les prix s'effondrent sur le marché
parisien !  Par contre, il a fallu quatre ans pour retrouver
une récolte correcte après le terrible hiver de 1709.
On l'évoque encore à Pringy et Ponthierry le 28 août
1718, lorsque Charles Sancy, lieutenant de l'Election de Melun,
visite les paroisses pour y constater les dégâts dus
au gel, à la grêle, aux incendies et autres accidents
: "en la paroisse de St Ferréol,
les habitants nous ont dit que la grêle et la grande
sécheresse ont beaucoup endommagé les récoltes;
les vignes ne produisent qu'un muid et demi l'arpent au lieu de
dix qu'elles devraient produire".
Les prières à St Vincent, patron des vignerons, vénéré
dans l'église de St Fargeau, ne sont pas d'une efficacité
absolue. La dîme prélevée par l'Eglise
et les droits de pressoir des seigneurs sont assez bien acceptés.
Mais l'ennemi juré du vigneron et du cabaretier, c'est le
fisc, le contrôle des aîdes chargé de percevoir
droits et taxes : " la perception
des aîdes sur le vin devient très onéreuse,
depuis 5 à 6 livres par suivant le prix de vente. On accorde
à chaque vigneron 4 pièces de vin pour sa boisson,
s'il en boit plus, il paie. S'il en donne une pièce à
son frère, il paie, s'il a deux caves et qu'il transporte
du vin d'une cave à l'autre, il paie. On le reporterait ou
revendrait cent fois, on paierait de même : le vin n'a de
franchise qu'après qu'il est bu !" (cahier
de doléances de 1789). Alors on fraude
: quand le père est vigneron à Tilly et le fils aubergiste
à Ponthierry les contrôles sont difficiles et les visites de caves tournent parfois à l'émeute !
Malgré ces difficultés,
à la veille de la Révolution, la vigne occupe 170
ha sur les coteaux de la Seine et du ru de Moulignon, près
de 30% des surfaces cultivées. Elle assure, bon an mal an,
40% du revenu agricole et nourrit une population nombreuse. Pendant
des siècles, on naît, on se marie, on meurt fièrement
"vigneron" et les arbres généalogiques se
nouent en forme de cep ! |