"L"irrésistible
ascension de Nicolas Le Jay"
Messire Nicolas Le Jay, Chevalier, Premier Président en la
Cour du Parlement, Conseiller du Roy en ses Conseils d'Etat et Privés,
Baron de Tilly, Maison Rouge et St Fargeau, Seigneur de Villiers
les Salles, Saintry, Brétigny sur Monts, Malabry, Paray,
Conflans, les Carrières, terres et rivières qui en
dépendent, Garde des Sceaux des Ordres de sa Majesté
et Surintendant des Finances des dits ordres........Derrière cette énumération
de titres ronflants se cache l'histoire peu connue d'un petit magistrat
parvenu aux plus hautes charges de l'Etat. Nicolas Le Jay et sa
famille sont un bel exemple de la "promotion bourgeoise"
selon l'itinéraire "comptoir > basoche > service
du Roi " (analysée par Jacquart, Paris et l'Ile de France...) |

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"JAY
(Le) Famille de Paris de laquelle étoit... L'Armorial
de France ne s'étend guère sur les origines lointaines
des Le Jay. Gui Patin, en 1653, résume l'opinion des contemporains
:"feu M Le Jay, de peu de choses, était devenu premier
président au Parlement de Paris". Sous différentes
formes (lejai, le geay, le jai etc..) le nom est courant chez les
artisans ou marchands parisiens à la fin du moyen-âge:
"il passait pour descendre d'un marchand de soie établi
à Paris en 1450". Mais au début du XVI°
siècle, on trouve des Le Jay notaires, procureurs ou avocats.
Enfin la famille entre au service du Roy : en 1530, un Le Jay (Nicolas
aussi) notaire et secrétaire du Roy, est chargé de
la liquidation des comptes du mariage de François 1er. Jean
Le Jay, le grand-père de notre Nicolas, est conseiller du
Roy en 1552. Son père, Nicolas (1), lui aussi conseiller
du Roy, devient en 1571 correcteur en la Chambre des comptes. Les
charges sont encore modestes mais, par leurs mariages, les Le Jay
s'allient aux grandes familles de la bourgeoisie parisienne : les
Hotman, par la grand-mère de notre Nicolas, les Gron et Le
Picard par sa mère. Ces familles, enrichies par les bénéfices
de leurs charges, le commerce ou le prêt à intérêt,
investissent massivement autour de Paris, rachetant terres paysannes,
droits et titres seigneuriaux. Dès 1530, Denis Gron a acquis
des droits de justice à Tilly, à St Fargeau et sa
fille, Madeleine, mère de Nicolas, est devenue Dame de la
Maison Rouge et de Tilly. Quand à Nicolas (père),
il acheté les seigneuries de Bevilliers, Quinquampoix et
la Grange. |
Un "plan de carrière" rondement
exécuté ! Les relations et les ressources
familiales vont permettre à Nicolas (né vers 1574)
de rejoindre, très jeune, deux des plus prestigieuses
institutions du Royaume. En 1597, un de ses parents, François
Hotman, résigne en sa faveur sa charge de conseiller au Châtelet
de Paris. Ce tribunal de la prévôté et vicomté
de Paris était la première et principale juridiction
du royaume, seulement subordonnée au Parlement de Paris "cour
capitale et souveraine de tout le royaume". Jouant sur
les deux tableaux, le Jay obtient, en 1600, les charges de conseiller
et de commissaire aux enquêtes au Parlement, puis celle de
procureur du Roy au Châtelet. En 1610, il est nommé
conseiller d'Etat. Toutes ces charges étaient "vénales"
et s'achetaient fort cher mais "épices" (redevances
obligatoires) ou pots de vin rendaient l'investissement plus que
rentable. Lorsqu'en 1609, à la mort de François Miron,
il obtient la charge de lieutenant civil au Châtelet, le chroniqueur
Pierre de l'Estoile note : "... lui revenoit le dist estat
à soixante et quinze mil escus; somme qui se fust malaisèment
trouvée à Paris pour cest effet en une autre bourse
que la sienne, principalement d'un homme de bien...". |
Le Lieutenant civil
au Châtelet (1609) En
1609 la politique d'apaisement mise en oeuvre par Henri IV, après
la signature de l'Edit de Nantes (1598), commence à porter
ses fruits mais le souvenir des troubles parisiens de la Ligue est
encore dans toutes les mémoires. Le choix d'un lieutenant
civil était délicat car il était le chef véritable
du Châtelet. Sur le plan juridique, sa compétence s'étendait
à la plus grande partie du royaume. Il était aussi,
à cette époque, responsable de la police et du maintien
de l'ordre à Paris et, en temps de troubles, jouait un rôle
politique crucial. La candidature de Nicolas Le Jay rencontra de
vives oppositions : sa compétence et ses capacités
n'étaient pas en cause mais il était impliqué
dans plusieurs "affaires" financières délicates
encore en jugement. Après de longues tractations et moyennant
finances, il obtint l'appui d'Eléonora Galigaï, la femme
de Concini, "à qui la Reine, Marie de Médicis,
ne refusait rien" (texte).
Cette charge lui ouvrait de nouvelles occasions (plus ou moins
légales!) de promotion et d'enrichissement rapide (texte). |
14 mai 1610, à quatre heures de l'après-midi,
rue de la Ferronnerie...
Le vendredi 14 mai 1610, les autorités parisiennes
préparent l'entrée solennelle dans la capitale de
Marie de Médicis, couronnée la veille à St
Denis. En se rendant à l'Arsenal pour visiter Sully et les
préparatifs, le Roi est assassiné par Ravaillac. Le
Dauphin, Louis, n'est âgé que de neuf ans. Devant les
risques de troubles, princes et grands seigneurs réagissent
rapidement. "Pour prévenir les désordres qui
étaient à craindre...les ducs de Guise et d'Epernon
furent chargés de faire monter à cheval le plus de
noblesse qu'il
se pourrait et aller par toute la ville dire que le Roy n'était
point mort mais seulement blessé. Le Jay, lieutenant civil,
et Sanguin, prévôt des marchands, eurent ordre de faire
fermer les portes de la ville, de s'emparer des clefs, de prendre
tous leurs officiers, d'empêcher toutes émotions et
attroupements." (L'Estoile).
Tout cela fut, au témoignage des contemporains, exécuté
fort habilement (texte). Le Roy est mort, vive le Roy...mais
qui aura la régence ? Pour maintenir une paix civile encore
fragile, les Princes et le Parlement se mettent rapidement d'accord.
Le lendemain, l'enfant-Roi se présente au Parlement pour
y tenir un lit de justice. Selon son "bon vouloir", la
Reine Mère est proclamée régente. Elle n'oubliera
pas le rôle, discret mais efficace, du Lieutenant civil dans
cet heureux dénouement."..il avait su tenir en mains
le peuple de Paris et on lui en sut gré !" Trois
ans plus tard, il est reçu Président aux enquêtes
au Parlement de Paris, à moins de quarante ans. |