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Le 18 juin 2002 est
inaugurée, dans les communs du chateau de Moulignon récemment
restaurés par la municipalité de St Fargeau-Ponthierry,
la Maison des Insectes, première maison du réseau
"la Forêt Autrement" des Maisons du Bornage. C'est
l'occasion de rappeler le souvenir d'un "horsain" à
qui, il y a deux cent ans, les papillons donnèrent son heure
de célébrité |
Les Augustins à St Fargeau
A l'entrée de St Fargeau, à
droite en venant de Tilly, se dresse, au fond d'un jardin, une maison ancienne,
de facture classique, connue sous le nom de "Prieuré".
En fait, il ne s'agissait pas d'un prieuré au sens canonique
du terme mais d'une belle maison de campagne construite au XVIIème siècle
par les petits Augustins de la Reine Marguerite. Depuis 1660, leur couvent de
Paris avait, par legs ou achats successifs, constitué un magnifique clos
de vignes, descendant jusqu’à la Citanguette, cultivé par les
vignerons du pays, sous le contrôle d’un frère régisseur.
Visiteurs réguliers pour de courts séjours, vacances, convalescence
ou retraites, les Pères Augustins restaient des "horsains",
des résidents secondaires, mais étaient bien intégrés
dans le pays : en 1782, la paroisse leur avait réservé des places
dans le choeur " par reconnaissance de leurs
bienfaits à l’Eglise et bons services aux habitants". Ils remplaçaient le curé à l’occasion comme en
témoignent leurs signatures sur les registres paroissiaux.
Attention, un Engramelle peut en cacher
un autre !
En 1763, le plan de cette terre dite "des Bordes"
avait été dressé par un certain Père Engramelle,
alors procureur du couvent parisien. Celui-ci est bien connu car le Père
Marie-Dominique-Joseph Engramelle (1727-1805) joignait
bien d'autres talents à ceux d'arpenteur topographe ! Passionné
de musique et de mécanique, il est un des précurseurs de l'enregistrement
musical. La publication, en 1776, de La Tonotechnie ou l'Art de noter les
cylindres, et tout ce qui est susceptible de notage dans les instruments de
concerts mécaniques le rend célèbre. Dom Bedos
fait appel à lui pour achever la publication de son célèbre
Art du facteur d'orgue. Et comme l'on ne prête qu'aux riches, biographes
et historiens vont lui attribuer (jusqu'à nos jours) des compétences
en entomologie qui sont, en fait, celles de son frère cadet, lui aussi
moine augustin du couvent de Paris :
Jacques-Louis-Florentin
Engramelle (1734-1814)
" Papillons d'Europe peints d'après nature par M.Ernst, gravés
par M.Gérardin, et coloriés sous leur direction, décrits
par le R.P. Engramelle, religieux augustin du quartier de Saint Germain "
A Paris chez Delaguette/ Basan & Poignant
C'est sous ce titre que parut, à la veille de
la Révolution, un ouvrage qu'un expert bibliophile décrit comme
one of the most beautiful works on butterflies ever...sumptuously produced
!
Un richissime amateur, Gigot d'Orcy, receveur général des
Finances de Champagne, avait constitué un "cabinet" de magnifiques
collections entomologiques (et minéralogiques). Pour en assurer la description,
il s'adresse (en ce qui concerne les papillons) à un peintre naturaliste
alsacien, Jean-Jacques Ernst qui en dessinera les planches et à Jacques-Louis-Florentin
Engramelle, chargé d'établir les textes descriptifs. L'ouvrage
sera tiré à 250 exemplaires sur souscription : la liste s'ouvre
sur les Rois de France, d'Espagne, de Suède suivis des notabilités
ou savants de l'époque, comme Buffon.
Le premier cahier parait en mars 1779 et sera suivi de vingt huit autres (formant
huit volumes) jusqu'en 1792.
Pour peindre, graver et colorier à la main, image par image, les 350
planches et plus de 3000 spécimens décrits, se succèdent
peintres (Ernst, Maria Eleonora Hochecker, Desfontaines, Dovilliers...), graveurs
(Juillet, Swebach, Gérardin, Staignand...) et artisans coloristes restés
anonymes. Trois planches en noir et blanc décrivent le matériel
nécessaire pour attraper et monter les papillons. Toutes les autres planches
are superbly handcoloured and belong to the very best made in the field of
entomological illustration ! Après la mort de Ernst, Jacques-Louis-Florentin
Engramelle dessine et grave lui-même quelques planches.
Mais il se consacre surtout au texte concernant les papillons de jour puis les
sphinx paru en 1784. Ses identifications et descriptions seront une référence
tout au long du XIXème siècle et on les retrouve encore citées
dans des ouvrages contemporains. Il ne restait qu'à décrire les
phalènes pour mener à terme le projet de Gigot d'Orcy. Or, en
mai de la même année, notre Jacques-Louis-Florentin est nommé
par les Augustins, secrétaire de la Province de Paris et cesse sa collaboration.
C'est un autre naturaliste, Arnould Carangeot, plus connu pour ses travaux en
minéralogie, qui achèvera jusqu'en 1793 les dernières parutions.
Bientôt, la Révolution Française va mettre un terme à
la carrière de notre moine entomologiste. Il va y connaître des
jours difficiles mais ceci est une autre histoire qui commence le 14 juillet 1789...
Peut-on espérer que la nouvelle "Maison des Insectes"
rappellera le souvenir de ce savant injustement oublié ? Les dictionnaires
de biographie, y compris les plus récents, n'en font pas mention et attribuent
ses travaux à son frère aîné. Le seul article qui
lui rende justice est celui d'Arthur BIREMBAUT, paru dans les Actes du VIIème
Congrès International d'Histoire des Sciences qui s'est tenu à
Florence du 3 au 9 septembre 1956. On peut y joindre une lettre du même
auteur au chanoine Bridoux, auteur de l'Histoire religieuse du Département
de Seine et Marne pendant la Révolution, conservée aux
Archives Départementales et qui contient des renseignements complémentaires.
Par contre le fichier du Chanoine Bridoux reste très vague sur les deux
frères et ignore une lettre de Jacques-Louis-Florentin (Arch.com.Fontainebleau,
L 1362).
Sur l'utilisation de l'oeuvre d'Engramelle au XIX° siècle : ses dessins
ont été utilisés par de nombreux entomologistes. Voir,
par exemple,le"Grand Mars Orangé" ci-dessus chez Jean-Jacques Marchand (1770-1750) au Museum
de Chartres
Sur l'utilisation actuelle des descriptions d'Engramelle
voir l'exemple du Cymatophorima diluta .abietis.
Pour les amateurs éclairés (et fortunés !), des exemplaires
de ce précieux ouvrage sont en vente chez deux grands libraires européens,
spécialisés dans les livres anciens.
A Amsterdam, la maison Antiquariaat Junk en propose un exemplaire à 22.000
Eur. Son catalogue
est illustré de plusieurs planches en couleurs. Je lui en ai emprunté
deux, ce dont, je l'espère, elle voudra bien m'absoudre comme l'aurait
probablement fait le Père Engramelle ! A Bâle l'exemplaire proposé
par Erasmushaus (dans son catalogue 909, n° 99) est à 45.000
(francs suisses, je suppose). Les deux catalogues fournissent d'intéressants
détails sur les auteurs et les conditions de publication.
© Jean ROBERT