PARIS - 12 MAI 1829
Les quatre jeunes
Chinois qui sont en ce moment à Paris, conduits par leur
supérieur, sont allés visiter l’imprimerie royale.
M.l'administrateur de cet établissement, prévenu la
veille de cette visite, avait invité M.Abel-Rémusat
et quelques autres savants qui se sont occupés de l’étude
de la langue et de la littérature chinoise, à
se rendre près de lui pour recevoir ces étrangers.
Ils étaient en habit de printemps, composé d’une veste
large de cotonnade noire, qui descend jusqu’à la moitié
de la cuisse; d’un pantalon bleu de pareille matière et du
bonnet ordinaire noir en forme de cône aplati, orné
à son sommet d’une touffe de franges de soie rouge, qui retombe
sur la calotte et la recouvre. On les a d’abord
conduits à la fonderie, où ils ont admiré notre
manière de multiplier les caractères d’impression;
puis on leur a fait voir successivement les autres ateliers. Ils
ont tout examiné en détail et ont observé avec
beaucoup d’attention les procédés de la typographie
européenne, totalement différents des leurs, quoiqu’ils
aient aussi, ont-ils dit, des caractères mobiles. Ils ont
beaucoup remarqué les mécanismes des diverses machines
qui leur ont été montrées. Parvenus
dans la salle où l'on garde les poinçons de presque
toutes les langues connues, ils y ont trouvé M. Abel-Rémusat,
au milieu de ses élèves, de MM. Klaproth, Sain-Martin
et autres savants. On sait que la prononciation diffère beaucoup
en Chine d'une province à l'autre, aussi les Chinois sont-ils
fréquemment obligés pour s'entendre d'avoir recours
à l'écriture, qui es la même dans tout l'empire.
M. Abel-Rémusat a pris le même parti. On avait placé
dans la salle une table noire sur laquelle il a tracé d'abord
un salut adressé aux jeunes Chinois. On voyait se peindre
sur leurs figures leur extrême étonnement de la rapidité
et de la régularité avec lesquelles le savant professeur
traçait les caractères compliqués de leur langue.
M. Abel-Rémusat leur a demandé leurs noms et prénoms
et le lieu dans lequel ils étaient nés. Ils ont aussitôt
répondu chacun à leur tour. Le plus lettré,
qui parle aussi passablement le latin, s'appelle Joseph Li, il est
natif de Han-Yang-Fou, ville départementale de la province
de Hou-Pe, située au centre de la Chine. |
M. Abel-Rémusat leur
a fait connaître qu'il était professeur de mandchou
et de chinois au collège royal de France et les a prié
de lire du chinois à haute voix, pour donner aux personnes
qui étaient présentes une idée de l'intonation
particulière de leur langue. Joseph Li a lu quelques passages
du philosophe Mengtseu, ainsi que le Pater
en chinois. Le plus jeune d'entre eux
aussi récité avec une voix plus sonore et une grande
modestie, l'Ave Maria également
traduit en chinois. La nouveauté de ces accents a excité
le plus vif intérêt. Plusieurs élèves
de M. Abel-Rémusat, par mi lesquels on distinguait particulièrement
MM. Stanislas Julien, Kurz, Levasseur, le professeur Neimann et
Ampère fils, se sont livrés par écrit à
des conversations particulières avec chacun des chinois,
qui semblaient pénétrés de joie de trouver
aussi loin de leur patrie tant de personnes instruites dans les
secrets de leurs caractères idéographiques. Après
s'être beaucoup occupés des types chinois de l'imprimerie
royale, exécutés sous la direction de MM. Abel-Rémusat
et Klaproth, et de la manière d les multiplier par la fonte,
M. Abel-Rémusat leur a demandé de lire du latin et
tout le monde a applaudi à la manière distincte et
prosodique avec laquelle Joseph Li prononce cette langue. Ils
ont satisfait avec complaisance à plusieurs demandes de phrases
écrites de leur main, avec le pinceau, selon l'usage. On
a remarqué celle-ci en réponse à M. Abel-Rémusat
qui, selon l'usage chinois, leur demandait une maxime ou bonne parole en mémoire
de leur visite. Joseph Li a écrit : “ Veuillez, Messieurs,
prier le Maître du Ciel qu'il permette que le christianisme
se répande au loin dans la Chine.” En se
retirant, ils ont adressé avec beaucoup de politesse leurs
remerciements à M. l'administrateur, à M. Abel-Rémusat
et à ceux de ses élèves avec lesquels Ils 'étaient
entretenus pendant près de deux heures. Nous
ajouterons que M. le supérieur des missions a bien voulu
permettre à un artiste de faire leur portrait, qui sera lithographié
et qui paraîtra cette semaine avec une notice plus étendue
sur chacun d'eux. Ces portraits seront d'autant plus intéressants
qu'ils doivent quitter ces jours-ci leur costume chinois pour prendre
celui du séminaire.
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