" L'Est
est l'Est, l'Ouest est l'Ouest et ils ne se rencontreront jamais
"... Au début du XIXème siècle, le
monde extrême-oriental est encore un univers opaque, mythique
et la Chine « une nation dont la barbarie et l'ignorance étaient
comme
établies en principe ». Il est vrai que la géographie
et l'histoire semblent s'être liguées pour justifier
l'aphorisme de Kipling ! La distance d'abord : près
de douze mille kilomètres à vol d'oiseau séparent
Paris à Pékin, le double par la voie maritime ! Mais
aussi le climat et le relief : d'immenses déserts torrides
ou glaciaux et les plus hautes montagnes du monde forment une barrière
pendant longtemps quasi-infranchissable. Pourtant, au long des siècles,
un fragile réseau de pistes a contourné les déserts,
escaladé le Toit du Monde, dévalé gorges et
défilés, dessinant, des bords orientaux de la Méditerranée
aux rivages chinois du Pacifique, les routes de la soie ou du jade
(carte).
Marchandises, outils et techniques y ont cheminé, transmis
de mains en mains, de marchés en caravansérails. Langues,
cultures et religions aussi s'y sont croisées ou rencontrées
mais les connaissances et les informations supportent mal les ruptures
de charge ! |
Soldats,
marchands, missionnaires : Kuo-Sung-tao, premier ambassadeur
chinois en Angleterre, au XIXème siècle, écrivait
: «Les barbares recourent à trois procédés
dans leurs contacts avec la Chine: le commerce, la religion et la
force militaire...» résumant ainsi deux millénaires
d'aventures célèbres ou anonymes, de rencontres sans
lendemain ou d'occasions manquées.
En 325 avant
notre ère, Alexandre le Grand lançait ses troupes
vers l'Orient lointain. Elles venaient buter sur les premiers contreforts
de l'Hindou Koush avant de redescendre sur la plaine de l'Indus.
Trois siècles plus tard, le bouddhisme gagnait les lointains
royaumes hellénistiques perdus au bout du monde. Un extraordinaire
métissage culturel donnait naissance à ce merveilleux
art du Gandhara où le visage d'Apollon transparaît
sous le sourire de Bouddha. Episode quasi oublié ou devenu
légendaire : de cet au-delà du Levant, Rome et le
haut Moyen-Age ne retiendront que le vague souvenir
d'un mystérieux pays des Sères, d'ou proviendrait
la précieuse soie.
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Pourtant
les chrétiens de l'Eglise de
Perse (nestoriens), avaient pris le relais
dans cette marche vers l'Est. Dès le VIème siècle,
missionnaires et marchands s'avancent sur les routes de la soie
vers l'Asie Centrale, par le Turkestan et le Tibet, jusqu'en Mongolie
et en Chine. Ils y a des moines chrétiens chinois et tibétains,
des évêques nomades en Mongolie; des princes mongols
y firent baptisés et l'une des épouses de Gengis-Khan
sera chrétienne. En 1218, c'est un moine chinois issu d'une
tribu mongole depuis longtemps christianisée qui devient
patriarche de Bagdad. Cette Eglise aurait pu être un lien
avec l'Occident chrétien mais elle en est séparée
depuis le IVème siècle et va pratiquement disparaître
au XIVème siècle sous le choc des mongols passés
à l'Islam.
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Au
XIIIème siècle, après les conquêtes de
Gengis Khan, l'Empire mongol, s'étend du Pacifique à
la Mer Noire. Des commerçants ou missionnaires, profitant
d'une provisoire pax mongolica, atteignent "Cambaluc
et le Cathay" - Pékin et la Chine. Et ils en reviennent
! Dans "le Livre des Merveilles" Marco Polo raconte
longuement ses 14 ans de voyages (carte) au service
de Kubilaï Khan. |

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Papes et rois
de France des croisades rêvent d'une alliance avec les Mongols
qu'ils croient christianisés. Les carnets de voyage et les
lettres de leurs envoyés, Plan Carpin ou Rubrouck,
font disparaître le mythe du "Royaume du Prêtre
Jean" mais décrivent une Asie bien plus réelle.
Malgré l'échec de cette politique, les "Terra
Incognita" s'effacent peu à peu sur les cartes. |
Mais
les luttes entre l'Islam et la Chrétienté ferment
les routes du Moyen-Orient. Pour contourner l'obstacle, de nouvelles
routes vont s'ouvrir. Au Nord, la Russie s'est affranchie,
depuis la fin du XVème siècle, du joug mongol. Elle
entame une longue "Conquête de l'Est", colonisant
la Sibérie, et atteint le Pacifique en 1649. Sur une frontière
de plusieurs milliers de kilomètres avec la Chine s'ouvrent
des zones de contact et de rares points de passage, étroitement
surveillés. Au Sud, les
Portugais ouvrent la route des Epices (carte) par
le cap de Bonne-Espérance vers les Indes Orientales et touchent
Canton en 1514. En 1583, les jésuites, menés
par Matteo Ricci, qui a appris le chinois, sont autorisés
à pénétrer en Chine. Admis à la Cour
Impériale en 1601 pour leurs connaissances scientifiques,
ils deviennent les pionniers de la découverte de la culture
chinoise. Pendant
150 ans, ils en étudient la langue, les religions, les traditions.
Leurs "Lettres édifiantes et curieuses" sont très
lues en Europe. On en fait des compilations, la "China Illustrata"
de Kircher ou la "Description de l'Empire de Chine" de
Du Halde. La Chine devient à la mode comme en témoigne
le succès de "l'Orphelin de Chine" de Voltaire.
Leurs premiers essais de grammaire, de dictionnaires, de traduction
des grands textes chinois sont recueillis dans la Bibliothèque
Royale ou au Vatican ... mais ils vont bientôt s'y couvrir
de poussière! Rome estime que l'effort d'inculturation, d'adaptation
du christianisme à une culture "étrangère"
va trop loin et le condamne, après des décennies de
querelles intestines. Ces divisions entre chrétiens scandalisent
les Chinois qui expulsent les Jésuites en 1724. Soucieux
de préserver leur identité culturelle, la Chine suit
l'exemple du Japon et ferme complètement ses frontières
aux étrangers.
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