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A propos du 14 Juillet 1789
A la veille de la Révolution
Depuis
dix ans, la situation économique de la commune s’est détériorée :
fermiers et vignerons ont vu leur profit diminuer de moitié. Pour comble
de malheurs, le 13 juillet 1788, un orage de grêle d’une violence inouïe
a ravagé les cultures, comme dans toute l’Ile de France (1). S’en suit un terrible hiver : deux mois à –15°,
la Seine prise de novembre à janvier. A St Fargeau, la vigne résiste
mais les châtaigniers, dont on fait les échalas, sont détruits
par le froid (2). Fleuve gelé, routes verglacées :
le trafic des voyageurs et le charroi des marchandises est réduit à
néant . Et comme, depuis 1786, Louis XVI et Marie-Antoinette ne
viennent plus passer l’automne à Fontainebleau pour y chasser, les relais
de poste et les hôtelleries qui font vivre Ponthierry n’ont guère
vu de clients pendant six mois.
Dans cette atmosphère de crise, on a élu les délégués aux Etats Généraux et rédigé, le 16 avril 1789, les cahiers de doléances(3). On suit de très près – et avec lucidité - les événements de la capitale. Le 23 juin 1789, un familier du Seigneur de Jonville écrit: " …nous sommes ici dans un chaos, vous ne sauriez vous imaginer ce qui en est. Le Palais Royal est rempli de toutes sortes de personnes. Il y a des orateurs qui haranguent ; quelques personnes qui ont voulu s’élever contre leurs discours ont été maltraitées. Enfin, tout est du parti du Tiers(Etat) depuis les artisans les plus bas jusqu’aux gens d’un état beaucoup plus relevé. Le Roi a tenu une séance royale qui n’a rien opéré (Mirabeau y prononça le célèbre " nous sommes ici par la volonté du Peuple et nous n’en sortirons que par la force de baïonnettes "). Je ne sais comment tout se terminera mais je crois que nous sommes à la veille des plus grands événements : Dieu veuille que je sois mauvais prophète ! En attendant la prochaine moisson, la soudure se fait difficile…La misère est aussi fort considérable. Le blé manque quelquefois malgré les précautions qu’on prend. Jonville est fort embarrassé dans sa terre pour procurer du blé à ses habitants ; ils n’en peuvent pas trouver à Melun ni à Corbeil (4)… où des émeutes de la faim ont éclaté le 8 mai)".
Une semaine apparemment bien ordinaire.
Pourtant nos ancêtres Ferréolais ne semblent craindre qu’une chose, que le ciel (de l’église) leur tombe sur la tête ! " Ce jourd’huy dimanche 12 juillet 1789, à l’issue de la messe paroissiale de St Fargeau, le sieur Jean Janicot, marguillier, a fait sonner une assemblée au son de la cloche en la manière accoutumée pour urgente nécessité des réparations à faire au grand comble de cette église..." (5)
Il y a toujours un malheureux pour rater les
rendez-vous de l’Histoire : " le 13 juillet, a été
inhumé dans le cimetière de St Fargeau Charles Reignier, 57 ans,
ouvrier charpentier chez le sieur Beugnot, maître charpentier à
Ponthierry …" (6)
Pour le sieur Boimont, serrurier à Ponthierry, le premier 14 juillet n’est pas chômé ! Il commence par aller au Coudray, chez le Prince de Chalais, Seigneur de St Fargeau, Tilly, etc…. Il y livre " un passe-partout et trois tringles limées et polies pour le ciel (de lit) de la petite princesse ". A la ferme de St Fargeau, il installe " un fort pivot fourchu pour la porte de la grange avec son crapaudin pesant dix-huit livres ". Enfin, il rentre par Tilly où il fournit, en prévision de la prochaine vendange, " des clous, huit fortes poignées en équerre et un fort manche de fer pour tenir le cordage du pressoir ".(7)
Et pendant ce temps-là, il y avait des Ferréopontains à la prise de la Bastille !
Pour
découvrir leur présence, il nous faut avancer de quatre ans sur
le cadran de l’Histoire, une Histoire qui tourne au tragique : automne
1793, c’est le début de la Terreur. Le 16 octobre, la Reine Marie-Antoinette
est exécutée à Paris. Le même jour, dans une cellule
du Palais de Fontainebleau
transformé en camp d’internement, un prisonnier prend la plume pour protester
de son patriotisme et réclamer sa libération.
Florentin Engramelle est un religieux de l’ordre des Petits Augustins. Depuis 1660, leur couvent de Paris possédait entre Saint Fargeau et Tilly un magnifique clos de vignes, descendant jusqu’à la Citanguette, qu’ils faisaient cultiver par les vignerons du pays, sous le contrôle d’un frère régisseur. En 1763, Engramelle, procureur de l’ordre, avait dressé le plan de cette terre des Bordes (8). Les Pères Augustins restaient des ‘‘horsains’’, des résidents secondaires, mais étaient bien intégrés dans le pays, remplaçant le curé à l’occasion. En 1782, la paroisse leur avait concédé des places dans le choeur " par reconnaissance de leurs bienfaits à l’Eglise et bons services aux habitants"(9). Mais les Ferréolais avaient dû sourire en voyant Florentin, filet à la main, courir après quelque spécimen rare pour ses ‘’Papillons d’Europe peints d’après nature’’ publiés peu avant la Révolution.
Pour l’heure, c’est lui qui cherche à échapper à la capture. La politique de déchristianisation vient de se mettre en marche – il a été arrêté le 22 septembre - mais le Comité de Surveillance de Fontainebleau semble encore modéré. Alors, pour plaider sa cause, il va faire appel au grand mythe fondateur de la République !
Le
14 juillet 1789, écrit-il,
j’étais à Paris : " après la prise de la Bastille,
je me suis transporté, avec ma section et mes anciens confrères
(augustins), dans toutes les casernes des ci-devant gardes-françaises
(qui étaient intervenus d’une manière
décisive aux cotés des insurgés).
Nous avons recueilli les blessés que nous avons fait transporter dans
notre maison où ils ont été traités avec un soin
vraiment fraternel. Et le lendemain, j’ai chanté une messe à la
paroisse de Saint Sulpice pour nos frères tués au siège
de la Bastille ".(10)
Devant une telle preuve de dévouement au service des corps et des âmes des premiers martyrs de la Révolution, le Comité de Surveillance ne peut que s’incliner : Florentin est libéré le 22 octobre 1793. Après bien d’autres aventures, il mourra octogénaire, vicaire à Fontainebleau, en 1814.
Car, en 1793, il n’était plus question d’Augustins ni à Saint Fargeau ni ailleurs : après la prise de la Bastille, tout était allé très vite. Le 2 novembre 1789, les biens du clergé avaient été mis à la disposition de la Nation : la nouvelle municipalité en avait profité pour bloquer l’enlèvement des vins du domaine (3). Le 13 février 1790, les Augustins, comme tous les ordres religieux, étaient pratiquement supprimés. Enfin, le 24 décembre 1790, le sieur Loisiel s’offrait en cadeau de Noël le clos des Bordes, vendu 38500 livres comme bien national.(11)
Pour en finir avec une semaine devenue historique
Le 17 juillet 1789, Cécile Hanelle, épouse de Jean Dumont, aubergiste
à Ponthierry, met au monde une fille. Selon la coutume, elle est présentée
dès le lendemain, à l’église de Moulignon, pour y être
baptisée.
Extraordinaire prémonition ou délicieuse
ironie du sort ? La première enfant née dans la commune à
l’aube d’une République encore lointaine reçoit le nom de Mari(e)anne !
(12)
© Jean ROBERT
Article paru dans Réussir, bulletin municipal de St Fargeau-Ponthierry, n°31, juillet-août 1998.
Sources:
1. CHERRIER (C), Les Hivers prenant aux Rois,
p. 104-106. // 2. St Fargeau-Ponthierry au fil des temps, p.93. // 3.
.Arch.nat., D XIX,25, n°36. // 4. Arch.dép. Seine et Marne,
134F78. // 5. Arch.paroisse, registre f°186. // 6. Arch.dép.
Seine et Marne, 5 Mi2592. // 7. .Arch.nat., T 86/7. // 8. Arch.dép.
Seine et Marne, 286H1. // 9. Arch.paroisse, registre f°285. //
10. Arch.com.Fontainebleau, I 1362. // 11. Arch.dép. Seine
et Marne, 1Q1077. // 12. Arch.dép. Seine et Marne, 5 Mi2592.
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