LES EPREUVES DE LA REVOLUTION                             Retour à "Nos publications"

En 1789, la paroisse de Saint Fargeau fait sonner quatre cloches dans le clocher dominant la Seine et deux dans son annexe de Moulignon...

        Comme toutes les cloches du royaume, celles de St Fargeau chanteront les grandes espérances de l’année 1789. Mais, dès l’année suivante, l'adoption de la Constitution civile du clergé réorganise - sur le modèle des départements et communes - les diocèses et les paroisses. Les cloches des couvents fermés (Dammarie) et des paroisses supprimées par regroupement (Montgermont) commencent à être envoyées à la fonte pour faire de la petite monnaie : une centaine pour le district de Melun. Moulignon y échappe de justesse. Mais bientôt, la ‘’Patrie en danger’’ a besoin de métal pour ses canons ! Décidée pendant l’été 1792, la mesure de descente des cloches est précisée en juillet 1793 : une seule restera par paroisse à la disposition des municipalités pour les usages "civils".

A l'automne, les événements se précipitent. Sous la "Terreur", l'opération change de sens. La descente des cloches devient un des agents majeurs de la politique de déchristianisation. Il s'agit, après avoir laïcisé le temps par le calendrier républicain, de désacraliser l'espace. Elles sont d'autant moins utile que le culte va être interdit. Le 19 septembre, Métier, un ‘’curé rouge’’, reçoit pleins pouvoirs pour faire exécuter les décrets de la Convention dans le département. Sur son ordre, la citoyenne La Roche, directrice des Messageries nationales de la Haute Seine, ouvre, le 1er octobre, un registre : ‘’Etat des cuivres et des cloches qui ont été déposés dans la cour et magasin du bureau des coches d'eau de Melun’’.

        Les paroisses, devenues communes, tiennent à leurs cloches (qu’elles ont payées) et ne manifestent guère d’enthousiasme à les livrer. A St Fargeau, Deverel, décédé en 1791, a été remplacé par un jeune prêtre, François Mercier, élu par l’assemblée du district. Loiseau, le maire, et les officiers municipaux avaient eu la responsabilité des finances paroissiales. Ils ignorent délibérément les premières demandes. Métier durcit le ton et menace : le 19 octobre, il annonce que ‘’ceux qui s’opposeraient à la livraison des cloches seraient dénoncés au Tribunal Révolutionnaire comme traître à la Patrie’’. Trois jours plus tard, il écrit à la municipalité de St Fargeau et réclame ‘’cloches, battants et ferrements’’. Cette fois-ci, il faut répondre :’’nous sommes prêts à vous les faire rendre à Melun le jour et l’heure que vous nous indiquerez’’.
        
Alors, dit la chronique paroissiale, ‘’on ordonna que les cloches au nombre de trois seraient descendues du clocher et seraient conduites à Melun… Et alors la petite, la moyenne et la troisième ont été enlevées et la grosse resta par rapport au timbre de l’horloge’’. Le 2 novembre 1793, la citoyenne La Roche inscrit au folio 7 de son registre : ‘’reçu quatre cloches (dont celle de Moulignon) provenant de la commune de St Fargeau par le citoyen Duguet, voiturier’’ et dix jours plus tard ‘’les ferrements et battants des cloches…par le citoyen Rabourdin’’.

        En l'espace de six mois, plus de deux cents cloches sont rassemblées à Melun, au bord de la Seine. Au printemps suivant, après une grève des mariniers, effrayés par le poids du chargement, la citoyenne Laroche réussit, en plusieurs voyages,  à expédier sa récolte vers Paris pour la "Fabrication des Armes de la République - Direction de la Grosse Artillerie". Au passage de la Citanguette, nos cloches destinées au creuset ont-elles dit un dernier adieu à leur sœur restée solitaire dans le vieux clocher qui domine la Seine ?

        Les soucis de la survivante - la Grosse en Mi - ne sont pas terminés. Après la chute de Robespierre, le Directoire autorise la reprise du culte mais interdit toute "publicité" : interdiction absolue de sonner offices ou cérémonies. Or, un mariage ou un enterrement, même civils, sans cloches, c'est impensable ! Selon la célèbre formule d'époque, "nos paysans préfèrent leurs cloches sans curé à leur curé sans cloche" ! Les sonneries interdites se multiplient, comme celle qui marque l'arrivée officielle d'un nouveau célébrant, Etienne Amy, le 25 septembre 1795.

        Des incidents se produisent partout puisqu'il reste, en principe, une cloche par commune. Le pouvoir central multiplie les textes législatifs : descentes des battants, enlèvement des cloches. Les autorités locales, peu motivées, suivent mollement. Encore faut-il trouver des ouvriers locaux qui acceptent, à leurs risques et périls, d'exécuter ces mesures impopulaires. Et comment les payer, l'opération étant à la charge de la commune ?

        Il faut attendre la signature du Concordat par Bonaparte et sa mise en oeuvre en 1802 pour que les paroisses retrouvent le libre usage de leurs cloches : liberté d'ailleurs étroitement surveillée par l'administration impériale qui a fait des curés des fonctionnaires du Ministère des Cultes ! La "grosse en Mi", restée seule dans le solide clocher de St Fargeau, reprend officiellement son service et l'assurera sans défaillance pendant cent cinquante ans.


 ..................extrait de : Cloches et clochers de St Fargeau-Ponthierry, une petite histoire de famille /                    Jean ROBERT. Les dossiers de l'ARH, 2000. 28p. : ill. 2 € 50
Cette plaquette a été éditée à l'occasion de l'inauguration d'un nouveau beffroi communal, le 23 avril 2000. On y trouvera les grandes lignes d'une histoire des paroisses de la commune en préparation.  

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